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Edition 2020
10/10/2020 - Homélie du Frère Nicolas Burle, o.p.
10/10/2020 - Homélie du Frère Nicolas Burle, o.p.

| F. Nicolas Burle, o.p. 1563 mots

10/10/2020 - Homélie du Frère Nicolas Burle, o.p.

Homélie de la messe du 28e Dimanche du temps ordinaire 

11 octobre 2020 

BASILIQUE DU SACRÉ-CŒUR DE MONTMARTRE

"Chers frères,

Tant de fois nous soupirons en nous plaignant que la Parole de Dieu ne nous parle pas. Ne nous concerne pas. Nous ne la comprenons pas. M’est avis que ce soir, vous en avez goûté toute la saveur. 

« Un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. » « Ma coupe est débordante. » « Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce. » Ah mes amis, j’ai faim !

Aviez-vous déjà imaginé cela ? Aviez-vous compris que le Ciel ressemblerait à un grand banquet ? Bien loin d’un club de joueurs de harpe assis sur un nuage à attendre… l’éternité. N’est-ce pas bien plus désirable ? Un grand festin céleste… dont l’avant-goût sur terre est la messe. Évidemment, ici nous pourrions être légitimement déçu par le décalage entre la Parole de Dieu, alléchante, gargantuesque, et notre expérience ordinaire, assez pauvre, de la messe. Ou alors si vous voyez dans la messe le grand banquet du ciel, vous êtes déjà de très grands saints.

Pourquoi venons-nous à la messe ? Parce que nous avons faim. Faim de quelque chose de plus. 

Nous ne sommes pas rassasiés par le monde. La preuve ? Le samedi à 22h à Paris les gens normaux ne viennent pas à la messe. Ils dînent en ville. Ils font la fête. Ils vaquent à leurs occupations. Ils sont terrés chez eux à cause de la pandémie. En tout cas, ils ne sont pas là. Ainsi, « les invités ne tinrent aucun compte de l’invitation et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce. »

Non, nous ne sommes pas normaux. Nous savons que « l'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Quelle est ma faim? Quel est mon désir? Suis-je repu et satisfait ? Mais alors, comment Dieu pourrait-il me nourrir ? Ai-je faim d'un grand amour ? Ai-je faim de Dieu ? Mais comment avoir faim de Dieu ?

Mes frères, nous sommes comme ces bougies sur l’autel : elles brûlent parce qu’elles ont en elles quelque chose de plus grand qu’elles, une mèche, quelque chose qui les dépasse, quelque chose qui les traverse et qui les invite à brûler. Ne laissons personne couper cette mèche en nous. Ne laissons pas le monde écraser nos grands rêves, notre désir de profondeur, de simplicité, notre désir de faire enfin passer l’essentiel avant l’urgent, notre soif de silence. 

Dans le vacarme du monde, la Parole de Dieu ce soir a retenti : « Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce. » Et nous sommes là ce soir, « les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. »

Nous sommes venus au banquet du Seigneur. Nous nous sommes nourris de la Parole de Dieu. Nous allons communier à son corps. Mais qu’est-ce que cela change de communier ?

Tout. Cela change tout et cela ne dépend pas de moi mais de Dieu. C’est l’œuvre de Dieu en moi. Quelle est la différence entre le pain que nous mangeons habituellement et l’hostie, le pain du ciel, que nous allons recevoir dans un instant ? 

Pardonnez-moi d’être trivial mais toute nourriture que j’avale, je la mastique puis je la digère. Mon estomac sépare les parties grossières et mauvaises, de ce qui est bon. Puis la nourriture devient chair et sang, et le sang circule dans les artères pour distribuer la nourriture dans tout mon corps, dans la tête, le cœur, en chaque membre. Bref, quand je mange une tartine, la tartine devient frère Nicolas. 

Alors que dans l’eucharistie, c’est frère Nicolas qui devient le corps du Christ. C’est moi qui suis transformé par Dieu. 

Une formule étonnante et bien concrète de saint Bernard nous enseigne : « Quand nous mangeons Dieu, c'est nous qui sommes mangés par lui. » Dieu nous mange. C’est lui qui sépare en moi les parties grossières et mauvaises de ce qui est bon. C’est lui qui me dépouille de tout ce qui n’est pas lui. C’est lui qui établit sa vie dans tout mon corps, dans chacun de mes membres.

Dieu veut faire de moi une nourriture agréable. Une nourriture à son goût. Le Christ veut faire de nous tous son corps, les membres du corps du Christ.

Voilà pourquoi nous croyons à la présence réelle dans l’Eucharistie. 

Si l’eucharistie n’est qu’une image, une scène de théâtre où nous rejouons le jeudi saint pour en faire mémoire, alors nous ne sommes transformés qu’en image, qu’en apparence. 

Mais non ! Nous sommes transformés réellement ! Aussi réellement que ce pain et ce vin sont le corps et le sang du Christ. Aussi réellement que le Christ est ressuscité et qu’il se donne à nous vraiment dans l’Eucharistie !

Pourquoi Dieu fait-il cela ? Pourquoi un sacrement si étonnant ? Dieu m’a créé corps et âme et il désire que son amour irrigue tout mon être, corps et âme. Je crois ainsi que le plus grand danger de la foi chrétienne est de n’être plus qu’une spiritualité, au sens restrictif de ce mot, c’est-à-dire une chose seulement pour l’esprit, à vivre chacun dans son coin. L’Eucharistie nous rappelle que nous avons un corps et qu’ensemble nous formons le corps du Christ. Il existe de multiples façons d’être présent… 

Mais rien ne remplacera la présence réelle. 

Que serait un père qui dirait son amour à son enfant sans jamais le prendre dans ses bras ? 

À la messe, le Seigneur entre au plus intime de notre être et nous prend tout entier, corps et âme avec lui. Car la messe n’est pas seulement un repas, un banquet, un festin de noces. Elle est plus que cela : elle est le seul lieu où je suis certain de recevoir ce que Dieu veut me donner. Sur la croix, le Christ a tout donné : son pardon, son amour, son sang, sa vie. Et à la messe, nous le recevons. Sur la croix, tout est donné. À chaque messe, tout est reçu. Sur la croix, le salut est donné pour l’éternité. À chaque messe, le salut se répand dans le monde comme la source à laquelle nous venons puiser.

Et ce salut doit se répandre dans notre monde tel qu’il est. Aujourd’hui. Non dans un autre temps rêvé, non dans un autre peuple idéal. Vous l’avez entendu : au banquet du ciel, « le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. » 

Quel cri entendons-nous aujourd’hui dans le monde ? Nous ne pouvons pas répondre à tous les cris mais quel est le cri que j’entends ? Celui qui me fend le cœur ? Se consacrer au Cœur Sacré du Seigneur, c’est se consacrer à un cœur blessé, transpercé. C’est se rappeler chaque jour qu’il est urgent d’aimer.

Qui se lèvera dans cette génération pour essuyer les larmes sur les visages et effacer les humiliations ? Qui luttera contre ce scandale que l’on appelle pudiquement pauvreté, contre ce suicide que l’on appelle pudiquement euthanasie, contre cette misère mondiale que l’on appelle pudiquement migration et qui jette des peuples entiers sur les routes, contre ce meurtre que l’on appelle pudiquement IVG et qui jette des centaines de milliers d’enfants dans des poubelles d’hôpitaux ? Qui aidera des couples à retrouver le chemin de la fidélité au lieu de divorcer ? Qui aidera les parents à redécouvrir et à transmettre à nouveau la foi ? Qui aidera la jeune génération à trouver sa place dans ce monde ? Quand le Roi entrera au dernier jour dans la salle du banquet, nous trouvera-il portant le vêtement de noces ? 

S’il nous verra bien propres, bien habillés, bien protégés, il nous demandera : « Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? » Nous serons peut-être alors étonnés : « Mais Seigneur, j’ai mis mes plus beaux habits pour toi. » Le Seigneur nous dira : « Montre-moi tes blessures ! » « Mes blessures Seigneur ? Mais je n’en ai pas ! » « Ah bon ? Tu n’as rien trouvé qui vaille la peine de se battre dans ce monde ? Ton cœur n’a jamais été blessé en essayant d’aimer ? Regarde mes blessures à la tête, aux pied, aux mains et au cœur : moi, je suis me battu jusqu’au bout pour toi. »

À la messe, Dieu se donne et nous le recevons à la mesure de notre foi. Dieu se donne à chacun de nous pour que nous nous donnions à lui. C’est le sens de notre consécration ce soir : « Je te reçois Seigneur et je me donne à toi. » C’est le sens du sacrement du mariage : « Je te reçois, toi qui m’as été confié par le Seigneur, et je me donne à toi. » C’est le sens de tout sacrement : « Ô mon Dieu, je me donne à toi pour te donner à tous. » 

Amen "

fr. Nicolas BURLE, o.p

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