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Saint Joseph
Aucun doute chez saint Joseph
Aucun doute chez saint Joseph

| Fr. Manuel Rivero O.P. 1937 mots

Aucun doute chez saint Joseph

Saint Joseph dans les commentaires évangéliques du père Lagrange

 Fr. Manuel Rivero O.P.

Est-il raisonnable de commenter abondamment la vie de saint Joseph alors que les évangiles n’en citent aucune parole ? Pourtant ce grand silencieux continue d’inspirer des millions de chrétiens qui trouvent en lui un modèle de foi et d’action.

La méthodologie

Ce que le Concile Vatican II déclare au sujet de la dévotion mariale peut s’appliquer aussi à saint Joseph : « La vraie dévotion procède de la vraie foi  ». Et la foi trouve son origine de la Révélation divine dans la Bible. Aussi le chrétien se tourne-t-il vers les évangiles à l’heure de se prononcer sur la figure du père adoptif de Jésus. À ce propos je me souviens du témoignage d’une personne qui s’était attachée à la Vierge Marie après avoir lu des commentaires exégétiques rédigés par des biblistes protestants. Le mot ferveur évoque « le feu » de l’Esprit Saint et « les cœurs brûlants » des disciples d’Emmaüs illuminés par les explications catéchétiques de Jésus ressuscité à partir de la Loi, des Psaumes et des Prophètes qui avaient annoncé en figures le Messie (cf. Lc 24, 13s).

Le père Marie-Joseph Lagrange O.P. (+1938), fondateur de l’École biblique de Jérusalem a commenté les passages des évangiles qui concernent saint Joseph, notamment celui de sa paternité légale sur Jésus, en effectuant lui-même la traduction du grec .

Si le texte biblique devient un prétexte pour des élucubrations ou des projections personnelles, la dévotion perd ses racines et sa sève. Le père Lagrange étudie le texte dans son contexte en accord avec la méthode historico-critique qui le caractérise. Les passages évangéliques sur saint Joseph sont commentés à la lumière de l’Ancien Testament, avec l’étude des langues et des civilisations de la Bible et des cultures environnantes. Par ailleurs, le fondateur de l’École biblique de Jérusalem enrichit son approche de la vie et de la spiritualité de saint Joseph en reprenant les écrits des Pères de l’Église, latins et grecs, sans oublier l’importance des traductions. En effet, une traduction représente une interprétation du texte original pour le retranscrire dans une autre langue. Le père Lagrange qui connaît non seulement le latin, le grec et l’hébreu mais aussi l’araméen, l’arabe et d’autres langues anciennes, a vérifié les versions des passages évangéliques dans d’autres langues.

La foi de Joseph

C’est en étudiant de manière critique, c’est-à-dire scientifique, les textes évangéliques sur saint Joseph que le père Lagrange propose la véritable dévotion envers l’époux de Marie et le père adoptif de Jésus. L’exégèse conduit à la juste compréhension du mystère de saint Joseph en évitant des excès : « Nous concluons qu’on a exagéré de deux façons en prétendant pénétrer par l’exégèse dans les sentiments de Joseph. Il n’a pas manqué de Pères (Justin, Ambroise, Augustin, Chrysostome) ayant déduit du texte qu’il avait soupçonné Marie d’adultère. (…). D’autre part des écrivains anciens et de nombreux modernes ont interprété le v.18 comme si Joseph avait été instruit de l’opération du Saint- Esprit. Or si Joseph avait eu la fâcheuse opinion, le texte ne dirait pas qu’étant juste il n’a pas voulu révéler la situation de Marie, car la justice lui en faisait plutôt un devoir s’il croyait Marie coupable. Et s’il avait été au courant, l’ange ne le fixerait pas en lui apprenant que l’enfant est conçu du Saint-Esprit. Ces deux excès viennent de ce qu’on a voulu tirer du texte autre chose que ce qu’il dit, et on ne peut savoir cela même qu’en tenant compte du but de l’auteur et de l’esprit dans lequel il a écrit . » Le père Lagrange n’ignora pas l’humanité de Joseph : « Or le jour vint où Joseph s’aperçut que son accordée était enceinte. Qu’un premier mouvement de surprise et d’indignation se soit élevé dans son cœur, c’eût été bien naturel, mais il ne s’y arrêta pas  .» Dans son expérience de la vie familiale, le père Lagrange relève aussi que ce sont les femmes qui perçoivent les signes de la grossesse chez les proches : « ‘ il se trouva’, ‘ il fut constaté’ ; le texte ne dit pas que ce fut par Joseph, (…), d’autant que Marie n’habitait pas chez lui, et que la grossesse dut être remarquée d’abord par les parents de Marie, par sa mère avant tous. Les femmes ne sont-elles pas les premières à saisir les symptômes chez d’autres femmes ? Mais Joseph devait être averti et il le fut. On s’étonne qu’il ne l’ait pas été par Marie. Dans l’intention de Mt. C’est parce qu’il devait être éclairé par un ange. Et puisque Dieu avait pris l’initiative, Marie devait lui laisser le soin de tout conduire  . » L’Évangile parle « d’esprit saint » sans article : « L’Esprit Saint n’est donc pas personnifié ; c’est plutôt une expression pour marquer l’action divine qui donne la vie et qui féconde. Aussi bien la théologie attribue à Dieu et non à l’une des personnes divines les actions ad extra  . » Joseph, homme juste Mais à la suite de saint Jérôme (+420), exégète et traducteur de la Bible, il interprète les textes en accord avec la chasteté de Marie crue par Joseph, homme juste, dans son silence contemplatif du mystère de Dieu en son épouse.

C’est au nom de la justice que Joseph ne dénonce pas son épouse comme adultère : « Joseph était juste comme les Israélites soucieux de rendre à Dieu et au prochain ce qui leur était dû. » ; « il serait absurde de dire que c’est par justice qu’il ne l’a pas dénoncée – à moins que précisément il ne l’eût pas crue coupable ! », écrit le père Lagrange. Dans la Bible, « juste » ne veut pas dire « débonnaire » ou « arrangeant » mais ajusté à la volonté de Dieu manifestée dans la Loi de Moïse : « Matthieu. n’a pas écrit « étant juste et cependant ne voulant pas » comme il eût dû le faire pour exprimer l’opposition, mais « étant juste, et par conséquent ne voulant pas », comme a compris Ephrem (Moes,22) ».

C’est l’Ange apparu en songe à Joseph qui lui révèle le miracle de la conception virginale de Jésus en Marie par l’action de Dieu. Dans l’Évangile selon saint Luc, l’ange Gabriel demande le consentement de Marie qui s’exclamera : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! » (Lc 1,38). En revanche, dans l’Évangile selon saint Matthieu, Joseph joue un rôle de témoin. Il n’a pas à donner son accord mais il adhère à la mission que Dieu lui donne en tant que témoin de la maternité divine de Marie et de père adoptif de Jésus.

La mission de Joseph

Les deux évangélistes, Matthieu et Luc, ont agi en auteurs. Ils apportent deux théologies différentes et complémentaires. Saint Matthieu écrit du point de vue de Joseph, descendant du roi David, qui permet à Jésus d’être appelé « Messie » et « Fils de David » ; tandis que saint Luc écrit du point de vue de Marie. Pour saint Matthieu, c’est Joseph qui donne le prénom de « Jésus » à l’enfant alors que dans l’Évangile selon saint Luc, c’est Marie qui nomme son enfant « Jésus ». Et le père Lagrange de commenter : « Dans l’Ancien Testament, c’est tantôt le père, tantôt la mère, et il est naturel qu’ils se soient entendus ». 

Éclairé par l’Ange, Joseph devient le témoin de la conception miraculeuse de Jésus. Saint Matthieu a présenté Joseph, homme juste qui vit de la foi en Dieu, comme le grand contemplatif et le gardien du secret de la maternité divine de son épouse. Conscient de la grandeur surnaturelle de l’événement, Joseph était prêt à se retirer : «Son attitude est déjà celle des disciples qui auront toujours besoin d’être rassurés en présence du surnaturel. Nous avons donc parfaitement le droit d’estimer avec Ephrem, Jérôme et tant de pieux auteurs, que Joseph n’a pas cessé de croire à l’innocence de sa très pure fiancée » ; « Joseph ne manifeste ni colère, ni reproches. La conclusion qui semblait s’imposer était combattue dans son esprit par ce qu’il avait compris de la pureté et de la fidélité de Marie. Au lieu de lui attribuer seulement un grossier bon sens, incapable de mettre les réalités spirituelles en balance avec celles de l’ordre matériel, un chrétien ne peut aborder le sanctuaire de ces âmes très pures sans le respect qu’exigent les principes mêmes de la foi, et la situation qui leur a été faite dans le mystère de l’Incarnation. Il faut accepter et appliquer dans toute son étendue le principe de Chrysostome : Joseph s’élève au-dessus de la loi ancienne, « car la grâce étant déjà présente, il devait apparaître des signes d’une conduite très élevée. De même que le soleil, encore qu’il ne montre pas ses rayons, éclaire déjà d’avance les régions de sa lumière, ainsi le Christ éclairait le monde dès le sein de sa mère », écrit le père Lagrange .

Saint Joseph est loin d’être un personnage triste et falot que certains ont cru percevoir en raison de son humilité et de son silence. Homme de foi et de prière, Joseph a été lui aussi « comblée de grâce » comme son épouse Marie. Dieu a répandu dans son cœur la grâce de la foi et de l’amour fidèle qui rend heureux et rayonnant comme Fra Angelico l’a montré dans sa fresque de l’adoration des Mages au couvent saint Marc de Florence. Saint Joseph n’est pas un homme ténébreux mais un serviteur lumineux du mystère de Dieu. Il a reçu la lumière du Verbe fait chair à travers son épouse, Marie. Son fils Jésus lui a obéit. Son épouse Marie l’a mis en valeur devant Jésus le citant en premier comme le montrent ses paroles lors du recouvrement de leur enfant au Temple de Jérusalem : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés. » (Lc 2, 48).

Grandeur de la vocation de Joseph

En parlant de son Père céleste, Jésus n’amoindrissait point la dignité de son père adoptif ; tout au contraire, il la magnifiait comme étant une participation originale de grande valeur à la paternité divine. En aimant son épouse Marie, devenue « épouse du Saint-Esprit » , Joseph ne perdait pas son statut d’époux mais il jouissait d’une union exceptionnelle en beauté et en solidité avec Dieu et avec son épouse. C’est Jésus, venu unir Dieu et l’humanité en sa personne, qui a accompli cette communion bienheureuse de Marie et de Joseph par l’Esprit Saint ainsi que leur participation à l’amour de son Père.

Dévotion à saint Joseph

Le père Marie-Joseph Lagrange avait reçu le prénom d’Albert à son baptême, lors de son entrée dans l’Ordre des prêcheurs au couvent royal de Saint-Maximin (Var) le 6 octobre 1879, le bienheureux père Cormier, prieur provincial, lui a donné un nouveau prénom religieux « Marie-Joseph ». Le père Lagrange a toujours manifesté une grande ferveur envers ses nouveaux patrons dans la vie religieuse comme le montre son Journal spirituel où il confie à saint Joseph « l’esprit de prière continuelle »  et l’esprit religieux par l’accomplissement parfait des trois vœux » .

Appelé « le nouveau saint Jérôme » pour sa science biblique et « le mystique de la Bible » pour sa vision surnaturelle, le père Lagrange réconcilie dans son enseignement la foi et la science, la Révélation et la raison.

Fr. M. R. (O.P.) 

Saint-Denis (La Réunion), le 26 janvier 2022.

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